Que veut-on transmettre ?
Tout commence par le regard que porte une communauté sur le document qui le fait passer de sa fonction première, pour laquelle il a été créé, au statut d’objet patrimonial. Il acquiert alors des valeurs qui en font un objet unique, destiné à échapper au sort commun à tout artefact, celui de l’usure, de l’obsolescence et de la destruction. Ces valeurs qui sous-tendent la notion de patrimoine culturel expriment souvent la rareté, le caractère précieux et vénérable, mais aussi l’intérêt historique ou artistique remarquable ou bien encore la typicité, quand un élément d’une série se révèle représentatif, caractéristique d’une série, d’une époque.
Mais les valeurs patrimoniales ne dépendent pas seulement des qualités intrinsèques de ces objets d’exception, entre aussi en jeu la qualité du regard qui exprime des jugements de valeur. Ainsi, tel écrit, telle photographie, telle affiche du passé, considérés comme sans intérêt ou simplement informatif à une époque, deviennent exceptionnels à une autre parce que la société qui les reçoit a changé. Avant même sa fragilité matérielle, le patrimoine culturel porte en soi une fragilité, naturelle pourrait-on dire, inhérente à cette relativité du regard patrimonial au cours du temps. Le patrimoine conservé est fait de la rencontre entre un document du passé et une ou plutôt des communautés pour qui il fait sens. D’abord, la communauté scientifique des experts confère à certains objets une valeur patrimoniale en fonction de critères de choix issus des différentes disciplines des sciences sociales, histoire, histoire de l’art, histoire de la littérature. Mais, au-delà des experts, il y a les communautés locales, celles des habitants, des métiers, des pratiques artistiques, linguistiques, la communauté nationale, qui reconnaissent dans ces objets une partie de leur propre identité.
Le premier maillon de la chaîne patrimoniale consiste dans la conservation intellectuelle. Elle débute par la collecte des documents et des œuvres qu’il faut sélectionner, parmi la foule des candidats, pour entrer dans les collections. La sélection peut se résumer dans la formule « je prends, je ne prends pas ».
Une exception au « je prends, je ne prends pas » est le « je prends tout » du Dépôt légal. La collection du Dépôt légal s’enrichit au fil du temps de toutes les publications sous quelle que forme que ce soit, livre, brochure, éditions numériques, pourvu que l’éditeur soit situé sur le territoire de la Principauté.
Les critères de choix rationnels s’appuient sur des connaissances expertes en bibliophilie et sur l’état actuel de la recherche mais aussi sur des outils, en particulier dans le champ du patrimoine des archives, les référentiels des archives publiques qui fixent le sort final des documents produits par les administrations.
L’intuition de la temporalité du long terme est inhérente au métier de l’archiviste comme à celui de bibliothécaire du patrimoine. Ils doivent conserver des collections venues du passé dont ils sont les gardiens et les enrichir des objets du temps présent pour leur transmission aux futures générations.