De la bibliophilie à l'édition courante
Le Fonds patrimonial conserve plusieurs dizaines de milliers d'ouvrages (27 900 monographies répertoriées sur la base de données de la Médiathèque, pour le secteur patrimoine), ceux rassemblés de façon systématique par obligation du dépôt légal et ceux choisis selon des critères de sélection géographique (Monaco, communes limitrophes, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Ligurie), historique et/ou bibliophilique. Ils recouvrent tous les domaines du savoir : historique, culturel, linguistique, artistique, scientifique, économique... Livres anciens et modernes, éditons originales, illustrées, tirages limités, envois autographes constituent ce fonds, avec une large place accordée à l'édition monégasque.
Les exemplaires dédicacés proviennent essentiellement de bibliothèques privées rattachées à des fonds d’archives. Les plus importants sont les fonds Paul Ginisty (1855-1932), Directeur du théâtre de l’Odéon à Paris et journaliste au Gil Blas, et Boris de Schloezer (1881-1969), musicologue et traducteur d’origine russe. Ils comportent des dédicaces de prestigieux auteurs et artistes de la fin du XIXème et du XXème siècle, tels que Paul Verlaine, Emile Zola, Guillaume Apollinaire, Gaston Gallimard, etc. Par ailleurs, au rythme de son histoire et de sa programmation, la Médiathèque s'enrichit depuis plus de cent ans d'une collection d’ouvrages dédicacés par les personnalités qu’elle accueille.
Le Fonds patrimonial conserve plusieurs centaines de livres anciens, dont "L'Apophtegmatum", œuvre d’Erasme de Rotterdam, éditée de son vivant, en 1547, chez l’imprimeur lyonnais Grefyus. Autre trésor bibliophilique, l’édition de 1556 des "Epistole scritte a Marco Bruto" de Cicéron, sortie de la presse d'un des grands noms de l’imprimerie vénitienne de la Renaissance, Ado Manuce. Enfin, les ex-libris à l'intérieur des livres, nom ou marque des anciens possesseurs, sont une autre source de connaissance et de rareté. Ils permettent de retracer l’histoire des exemplaires passés de main en main, de collection en collection.
Livrets, prospectus et manifestes !...
Feuillets, cahiers, dépliants, prospectus, brochures, et manifestes littéraires entrent également dans la collection des imprimés. En effet, avec le développement et la large diffusion des techniques d’impression mécanique, est arrivée dans les bibliothèques une profusion de documents originaux, divers et complexes qu'on ne peut pas considérer comme des livres ou comme des périodiques au sens strict. Ce sont, par exemple, des documents d’informations touristiques ou ponctuels (programmes de congrès, de manifestations culturelles, politiques ou écologistes, plaquettes scolaires …), ou des documents administratifs (règlements intérieurs, conventions collectives, compte-rendu d'assemblées générales…) et statistiques (rapports d'activité, de l'IMSEE...), émanant d’établissements publics ou privés. On y trouve également des almanachs, comme le Calendari du Comité des Traditions Monégasques, des bibliographies thématiques, ainsi que des modèles de tests (psychologiques), des catalogues de ventes (Sotheby's, timbres et monnaies...), annuaires, qui sont perçus aux yeux des responsables du patrimoine comme des ressources remarquables pour mieux connaître l'histoire du pays.
Invitation Salon des Indépendants (Jm.1315)
L'Extrait de l'Ordonnance Souveraine n° 816 du 21 novembre 2006 portant application de la loi n° 1.313 du 29 juin 2006 sur le dépôt légal donne quelques précisions sur ce type de documents et sur ceux qui en sont exclus.
Imprimés ou dactylographiés, pliés ou brochés, ils sont, le plus souvent, reproduits à un nombre d’exemplaires inférieur au millier et diffusés en dehors des circuits commerciaux de l’édition, ne portant ni numéro d’ISBN, ni numéro d’ISNN. De plus, la validité de leur contenu a fréquemment un caractère provisoire et leur présentation, ne faisant pas l’objet d’une politique éditoriale suivie, n’est pas normalisée.
A ces imprimés éphémères, nous pourrions donner un jugement de valeurs en stipulant que, en particulier un prospectus diffusé par l’Office du tourisme et des Congrès, avec son plan plié et sa liste de restaurants, ou encore la plaquette de présentation d’un établissement scolaire, d’une entreprise ou d’une association, relèveraient du banal, médium, médiocre parfois (papier de moindre qualité, impressions à la chaine), et ne présenteraient a priori aucun intérêt patrimonial, à l’opposé des Manifestes que l'on range pourtant sous la même dénomination. Il est évident que ceux-ci, uniques par leur mode de distribution (souvent sauvage et lié à un évènement) et par le message qu’ils véhiculent, se distinguent par la préciosité de leur forme et de leur fonds. Ils occupent une place à part entière dans nos fonds et sont ancrés dans l'histoire des collections de la Médiathèque. Clé de voûte des mouvements futuristes et surréalistes, ils sont le témoignage des mouvements d'avant-garde qui vont à l’encontre des courants de pensée dominants. Au-delà de leur rôle dans l'histoire de l'art, ils font aussi partie de cette mouvance politique et sociale de manifester, de protester, de déclarer.
Et pourtant, tous ces imprimés éphémères sont essentiels pour la préservation du patrimoine. Par exemple, les programmes de spectacles sont précieux dans l’histoire des arts du spectacle à Monaco, comme les livrets de l’ancienne Société de Conférences (devenue Fondation Prince Pierre) pour la mémoire de personnalités littéraires. Les collections existantes dans les différentes bibliothèques à vocation patrimoniale de la Principauté, sont régulièrement consultées par les chercheurs tant nationaux qu’étrangers. Le dépôt légal en particulier va assurer une collecte pérenne et systématique de ces documents, du moins ceux publiés à Monaco, ce qui compense probablement le manque de considération des institutions à leur égard.
Périodiques, de la rareté aux quotidiens
De la revue rare au magazine de kiosque, la collection de périodiques du Fonds patrimonial est une source d'informations très riche, notamment grâce au dépôt légal systématique des périodiques rédigés par les journalistes locaux. Certaines revues sont reliées, d'autres conditionnées aux normes et d'autres encore, comme la presse ancienne, font l'objet d'une numérisation et d’une océrisation, une technique qui permet aux moteurs de recherche de « moissonner » les informations au cœur même des journaux et des revues. La collection des périodiques est constituée de revues de Monaco et de la région limitrophe (U Païs Mentounasc, Lou Sourgentin, Provence historique, Nice-Historique), de revues d'études dont certaines sont conservées depuis le premier numéro comme Europe. Il y a aussi des revues d'avant-garde.
Les titres en cours concernent environ 50 périodiques traitant de l'actualité (Monaco Hebdo, L'observateur de Monaco, Monaco-Matin), de la culture (L'Arca pour l'architecture, etc), de collections muséales (Mirà, la revue du NNMN, Revue de l'association des cartophiles de Monaco etc.), du sport (Code sport, Revue de l'Automobile Club etc.).
Petite histoire de l'impression et de l'édition monégasques
La première impression monégasque date du XVIIIe siècle. Elle fut suscitée par la diffusion des Annali d’Italia, la première histoire générale de l’Italie à l’époque moderne, œuvre monumentale de l’historien, grammairien et linguiste Lodovico Antonio Muratori, archiviste-bibliothécaire du duc de Modène. La politique libérale des Princes de Monaco à l'égard de l'imprimerie a attiré Augustin Obzati en Principauté. Ce libraire-imprimeur s'était vu refuser la licence d'exercer à Turin en vue de l’édition des Annali de Muratori. Il s'établit en 1761 à Monaco et y fonde la première imprimerie. L'autre manifestation du climat de tolérance de la Principauté a été la parution du premier journal, Le Courrier de Monaco, en 1770. M. Gustave Saige, l'éminent historien de la Principauté, dans son histoire de Monaco, note en ces termes l'origine de l'imprimerie à Monaco : [« Sous le règne d'Honoré III, vers 1770, une imprimerie fut créée ; elle eut pour origine l'impression d'une Gazette ou Courrier de Monaco qui continua une publication fondée d'abord à Avignon et que les éditeurs transportèrent à Monaco. Le Prince favorisa le développement de cette imprimerie, malgré les entraves qu'à plusieurs reprises le gouvernement français mit à la circulation du Courrier. La Société Typographique [de Nice] fit sortir, pendant la fin du règne, un grand nombre de travaux de ses presses, principalement des factums concernant des affaires judiciaires ou contentieuses relatives à la région.»]. Journal officiel cinquante-huitième année - N° 2991. mardi 13 juillet 1915.
Une liberté était donc laissée par le Prince de Monaco qui tranche avec la censure en vigueur dans les territoires voisins : celle du gouvernement sarde dans le comté de Nice et la censure du roi de France qui force le Courrier d’Avignon à se transporter en Principauté au moment de l’occupation de la Cité des papes par les troupes françaises entre 1768 et 1774. L'esprit libéral maintenu en tous temps par les Grimaldi dans leur Principauté assurait un grand nombre de commandes à l'Imprimerie de Monaco. Le Précis historique sur l’imprimerie. écrit en 1810, sur l'état ancien et moderne des imprimeries, libraires et papeteries de la ville de Nice, et revu et corrigé par l'historien niçois Joseph Brès en 1906, représente la principale source qui permet de retracer l’histoire des premiers imprimeurs de la région.
Créées le 1er novembre 1943, les éditions du Rocher comptent parmi les sociétés d'édition les plus prolifiques, les plus anciennes et toujours en activité. Liées de 1943 à 1965 à leur principal fondateur, Charles Orengo (1913-1974), elles font partie des rares maisons nées sous l’Occupation, rescapées et toujours vivantes aujourd’hui. Elles s’établissent au 28 rue Comte Félix Gastaldi en 1948 et cela reste leur adresse actuelle. Le Rocher a changé de mains plusieurs fois au cours de son histoire, racheté ces dernières années par le goupe Elidia, qui possède aussi les maisons d’édition Desclée de Brouwer, Artège et Plein Vent. Cette dernière oriente sa littérature vers les jeunes pour découvrir l’histoire à travers des bandes-dessinées. Les éditions du Rocher ont su se hisser aux meilleurs rangs des maison d’édition du territoire « français » de littérature générale. Des atlas mondiaux aux romans d’auteurs contemporains, de rééditions de classiques aux ouvrages sur les sciences ou les loisirs... Rejoint par l’auteur phare de la maison, Vladimir Fedorovski, Le Rocher crée également Alphée, qui s’était fait remarquer lors de la parution de « Urgence Planète Terre – l’écologie et l’esprit humain » écrit par Al Gore en 2007.
L'autre grand nom de l’édition monégasque contemporaine est issue de la collaboration entre Marcel Pagnol et son ami éditeur, le monégasque Clément Pastorelly. Les éditions Pastorelly ont eu pour unique objet la publication de l’œuvre de Marcel Pagnol. Elles ont fait entrer au Dépôt légal de Monaco les éditions illustrées par Dubout ou Suzanne Ballivet.
Dans le monde des éditeurs spécialisés, citons les éditions numismatiques Victor Gadoury qui se distinguent par la publication annuelle des Monnaies françaises, les éditions Alpen traitant de la santé et de la diététique ou encore Ephedis, maison d'édition de la firme automobile Lancia. Dans le domaine musical, les éditions savantes de l'Oiseau Lyre ont été mondialement connues grâce à leurs partititions de musique ancienne et baroque, certaines jouées par les élèves de l’Académie Rainier III. Fondée en 1932, elle est transférée à Monaco à la fin des années 1940 puis quitte l’Europe en 2013 pour rejoindre le groupe britannique Decca.
Des maisons locales se consacrent aux livres d’art, telles que les Editions artistiques Monégasques (1943), les Flots Bleus (1952), Arts et Créations (1955), Les Documents d’Art (1941 ?). L’enlumineur et éditeur d'art Edmond Vairel a eu une activité de 1949 à 1974 au 3 rue de l’Industrie, et M. A. Jori, spécialiste de la sérigraphie d’art au 22 rue Emile de Loth. L’éditeur et imprimeur André Sauret (qui deviendra imprimerie artistique de Monaco à partir de 1960*) a fait paraître des ouvrages avec des lithographies au nombre d’exemplaires limité ou des estampes originales de maîtres. Ses ateliers lithographiques se trouvaient rue Grimaldi.
*anciennement imprimerie A.Chêne